ART SEXE MUSIQUE

Vous avez sûrement déjà entendu parler de ces êtres un peu étranges qu’on appelle les traductriceurs. Des heures, des jours, des pandémies durant, iels passent leur temps à mettre les bons mots dans le bon ordre pour qu’un ouvrage devienne accessible à de nouvelleaux lectriceurs. Or, il y a deux ans, bien installée dans les hangars de notre cher port, l’une de ces étranges créatures (Fanny Quément) s’est occupée d’une longue histoire : intitulée Art Sexe Musique, c’est l’autobiographie d’une artiste au parcours aussi productif que chaotique, entre l’underground musical, l’industrie du sexe et les hauts lieux de l’art contemporain. Une histoire de vies partagées et de créations collectives qui résonne un peu chez nous. 

C’est l’histoire de Christine Newby, dite Carol, Cosmosis, Cosey, Cosey Fanni Tutti… C’est elle qui nous en fait le récit, et il est essentiel que ce soit d’elle que nous le tenions : Art Sexe Musique offre un éclairage unique en son genre, ancré dans l’intimité, sur l’underground, le monde de la pornographie et le milieu de l’art britanniques. Artiste multidisciplinaire, figure incontournable de l’histoire de la musique industrielle (avec Throbbing Gristle) et de la synth wave (avec Chris & Cosey), Cosey Fanny Tutti est aussi connue pour ses années au sein du collectif à géométrie variable COUM Transmissions, ainsi que pour son travail de performeuse et de plasticienne, qui met en évidence la porosité entre marché de l’art et industrie du sexe, la nécessité d’accomplir des rituels, et tant d’autres choses encore. S’appuyant sur des extraits de ses journaux intimes, elle nous parle de travail domestique et de strip-tease, de squat, de drogue et de formulaire, de sexe et d’amour, de subversion et d’attention aux autres. Si Cosey Fanni Tutti n’a cessé de multiplier les expériences, sa vie s’est très vite fondée sur un principe d’identité porté à l’extrême : ma vie = mon œuvre. Son récit est celui d’une femme en lutte constante pour son autonomie, dans ses multiples relations familiales, artistiques, sexuelles et sentimentales. Dans un foisonnement de collaborations, au fil de succès improbables, au rythme des joies et des déboires des retrouvailles, on voit naître des rapports de manipulation et de domination, mais aussi se nouer d’insondables amitiés. Dans Art Sexe Musique, tout est dans tout, mais à la première personne : le livre est un point de vue à la fois situé et transversal sur l’underground anglais des années 1960 à nos jours, et le témoignage électrisant de ce que l’art fait à une vie.

Cosey Fanni Tutti dans une performance du collectif COUM, 1975.

Extrait :

“On peut dire sans exagérer que l’art postal a joué un rôle fondamental dans l’émergence, en 1973, d’un réseau très actif d’artistes variés, dévoués aux échanges et aux collaborations dans les arts visuels, la musique, l’édition et la performance. Cela favorisait vraiment les rencontres fécondes entre des personnes incroyablement talentueuses, dont certaines adhéraient, comme nous, au Global Infantilism, qui allait très bien avec notre conception ludique, humble et accessible de l’art.
C’est avec Robin Klassnik, rencontré grâce au répertoire Groupvine et à l’annuaire des artistes de FILE, que nous avions les échanges les plus prolifiques. Nous sommes devenus très proches et il nous a hébergés plusieurs fois au SPACE, l’atelier qu’il avait sur Martello Street, comme le jour où nous devions partir monter le Global Infantilism en Belgique, à l’université de Leuven, pour l’Open Theatre Festival. Du grand délire. Tout le monde a déraillé. Nous jouions avec Robin et, tous ensemble, enfermés dans une boîte, nous avons balancé les morceaux d’une statue de la vierge que nous avions sciée et fracassée, puis fait une performance cycliste où nous pédalions à toute allure, un hommage grinçant au célèbre cycliste belge Eddy Merckx.
Mais le plus dément, ce serait d’être embarqué dans The Revolutionary Spirit à force de voir ce duo de performeurs absolument incroyables, les Kipper Kids, Harry et Harry Kipper ou, pour les appeler par leurs vrais noms, Brian Routh, qui était l’époux de Nina Sobell à l’époque (avant de devenir celui de l’artiste Karen Finley), et Martin Rochus Sebastian von Haselberg (qui est aujourd’hui l’époux de Bette Midler). Ils ont foutu un bordel pas croyable sur le ferry, à courir partout dans leur costume des jumeaux Kipper, la panoplie complète avec leurs grosses bottes bruyantes et leurs faux crânes. C’était comme si Desperate Dan avait muté. Comme ils étaient grands, balèzes et bougons, ils avaient un côté imposant, inquiétant, voire terrifiant quand ils se parlaient ou s’adressaient aux passagers dans leur espèce de langage Kipper Kid, en faisant d’étranges bruits gutturaux. Une traversée à se pisser dessus, qui resterait dans les annales.”

Le livre est disponible en librairie (en rayon ou sur commande) ainsi que sur le site d’Audimat Éditions : https://audimat-editions.fr/catalogue/cosey-fanni-tutti-art-sexe-musique