Fugace odyssée
Fin mars 2016, les méandres rentrent au port. Les yeux rivés sur la Saône mouvante, elles se laissent bercer par la joie de revenir sur leur terre bourguignonne. Le dos réchauffé par le poêle, le bout du nez refroidi par l’air humide, les mains s’agitant au dessus d’une tablée pour attraper les plats (oui, les méandres sont gourmandes)… L’empreinte de toute sensation et toute image se savoure, car après un long voyage, il est vraiment bon d’être de retour.
Quel fut leur voyage alors?
Marche arrière jusqu’à janvier 2016.
Deux méandres s’associent à Cécile Le Meignen (Cie Les Fugaces) et signent un pacte ensemble : passer trois mois en immersion dans une commune des Yvelines, rencontrer sa population et construire avec elle, le plus grand spectacle déambulatoire que la ville ait jamais vu !
Une histoire qui ressemble presque à un conte…
Il était donc une fois, trois artistes qui voulaient envahir une commune. Cette commune était prisonnière de l’âpreté de certains de ses habitants, peu enclins à la bienveillance, ni à l’humour, suite à une malédiction probablement.
L’objectif secret était de mettre la pagaille pendant trois mois, de faire se soulever les foules opprimées et d’infiltrer le royaume gouvernant pour manipuler l’élite à des fins lucratives (contrairement à ce que l’on peut croire, les artistes sont cupides)!
En apparence, le but était de créer un spectacle à l’échelle de la ville, par et pour les habitants. Pour mener à bien leur plan machiavélique, les trois artistes se sont liés à la population résistante, et l’ont guidée à travers de nombreuses réunions de préparation, vers l’établissement d’un Guet-Apens communal ! Un genre de putsch mais bien moins sanglant et bien plus poétique (un ti-putsch?).
Pendant trois longs mois d’hiver, la résistance a construit moult armes poétiques: des braséros, un phare, un bateau, des costumes en tout genre, une baraque foraine, une vague de livres, des panneaux lanceurs de fumées, des affiches qui se déroulent plus vite que leur ombre, un banquet de 30m de long, une vounelle flangue. Elle s’est parée contre les tentatives de destruction et d’embuscade des résistants à la résistance !
En fait chaque partie tendait un Guet-Apens à l’autre…
Heureusement, les artistes ont fait parvenir du renfort fort depuis le fort Fort Chalon, et cinq chevaliers de l’art ont participé à la révolte. Pour faire diversion, les trois artistes ont aussi fabriqué des comédiens qui ont mené les spectateurs par le bout du nez, et ont tenté de les rallier à leur cause pendant la déambulation. Ce qui d’ailleurs, fut un franc succès. Après tous ces mois de combats, le Guet-Apens poétique a vaincu, et il a rayonné sur la commune de Jouars-Pontchartrain tel le plus beau des soleils pendant deux heures et trente minutes. En revanche personne ne s’est marié ou n’a eu d’enfant. Deux heures trente, c’était trop court.
On ne sait pas non plus si la malédiction fut levée, mais il y a de nombreuses chances pour que le temps du spectacle ait au moins été une modeste vengeance des braves gens contre les grincheux. Une ville immobilisée et interdite aux voitures, des milliers de spectateurs partout et une révolution de mots sur les murs ont dû faire l’effet d’un attentat dans un quotidien calme et contrôlé pour beaucoup de chartripontains. Ah ah !
Quant au but lucratif, il n’a pas non plus été atteint. Les artistes sont donc repartis les poches peu remplies, mais de l’or plein la tête.
-FIN-
En d’autres termes moins tarabiscotés, et dans une réalité plus concrète, La Méandre s’est essayée au projet participatif de territoire. Durant trois mois, Manuel Marcos et Anaïs Blanchard ont co-dirigés le volet 3 du projet Escapade(s) « Guet-Apens poétique » dans la commune de Jouars-Pontchartrain (78) avec son initiatrice Cécile Le Meignen (Cie Les Fugaces). Cette proposition avait pour thème la révolution poétique des espaces du quotidien : faire un pas de côté pour décaler la réalité. Une révolte soutenue autant dans le maniement des images poétiques que de la langue.
Ce voyage initiatique fut une première. Ils ont d’abord été enjoués, puis effrayés, puis fatigués, puis enjoués, super enjoués, fatigués, effrayés et ainsi de suite jusqu’à l’excitation de la dernière ligne droite. Globalement ils étaient quand même très enjoués.
Ainsi, les deux méandres ont migré. En janvier, elles ont largué les amarres et mis le cap sur les Yvelines. Un pied à Jouars-Pontchartain pour créer, un autre à Gambais pour se reposer. Le tout était de ne pas tanguer.
Il a premièrement fallu créer un parcours, choisir des lieux où les scènes pourraient se dérouler. Alors les méandres et Cécile se sont promenées et ont projeté des imaginaires dans les lieux qui leur chuchotaient à l’oreille « je veux raconter autre chose que mon quotidien ». Six d’entre eux ont été écoutés. Il y aurait pu en avoir sept, mais la congrégation d’habitants mesquins a un jour frappé et n’a pas voulu prêter son bout de parking. Bah oui, où est-ce que les voitures seraient allées se garer sinon?
Ensuite il a fallu rencontrer les habitants volontaires et partager les idées déjà amoncelées jusqu’ici. Par chance, ces autochtones étaient prêts à embarquer avec les artistes et se sont empressés de faire avancer le navire en proposant un tas d’idées de voyages et de façon de voyager ! (Ceci est une métaphore du processus ce création).
« Cela pourrait être comme ça ! » ; « Avez-vous pensé à ceci? » ; « Pourquoi ne pas procéder ainsi? ».
Bref, le trio d’artistes était pourvu d’un cru exquis de personnes (Chablis, 10 ans d’âge). Ainsi le projet a pris de l’ampleur. Toutefois nos deux méandres se sont senties esseulées tout là haut chez les mi-parisiens mi-provinciaux, parmi toute cette masse de choses à faire. Alors elles ont demandé à d’autres méandres d’envahir les Yvelines. Arthur-le-barde pour créer le tube du Guet-Apens, Guilhem-le-lettré pour inventer une nouvelle langue, Anne-Chloé-la-bulle pour sonoriser l’espace, Mathieu-le-bricoman pour construire l’inconstructible et Julie-l’inépuisable pour balayer les spectateurs.
Une fois ensemble et rassurées de l’être, toutes ces méandres ont mis le paquet. Les semaines se rythmaient entre des ateliers d’arts plastiques, des ateliers de construction, des ateliers de théâtre, des répétitions musicales, des ateliers d’écriture, des ateliers sons et des repas gargantuesques. La convergence de tant d’initiatives a permis au Guet-Apens poétique de visiter plusieurs horizons et de convenir à différents types de personnalités chez nos habitants volontaires. Les timides comme les plus téméraires ont réussi à trouver leur place dans cette aventure et c’est ce qui a rendu le projet artistique exceptionnel dans sa perspective humaine.
Ces grandes phrases ne sont pas là pour faire simplement joli, copier les institutions et montrer qu’il faut s’incliner devant nos protagonistes. Non. Cela est bien vrai. C’est une histoire aux faits réels et aux conséquences véritables ! C’était vraiment bien, vraiment fou, vraiment drôle, vraiment beau !
Le Guet-Apens poétique est fini désormais, et il a été difficile de dire au revoir aux nouvelles amitiés formées. Remuer une commune avec de l’audace artistique, ça forge les relations !
En revanche, de nouvelles choses commencent. Tout d’abord, il y a le volet 4 d’Escapade(s) – « Chroniques d’un village » qui débute tout prochainement. Aux rênes du projet se trouvent Cécile Le Meignen (celle-ci est aussi muable qu’Excalibur dans son rocher), Stéphanie Sacquet (Cie Les Armoires Pleines), Laura Dahan (Cies Les Fugaces & Armoires Pleines) et puis une méandre aventureuse : Julie Honoré (Collectif La Méandre). Cet ultime volet propose un travail sur la mémoire des lieux et leur usage selon différents points de vue. Un même lieu ne raconte pas les mêmes histoires selon chaque individu. Notre petite méandre Julie pourrait probablement raconter ce prochain chapitre, si elle revient indemne parmi nous.
Ensuite, il est question de nourrir un projet de la même graine sur le territoire chalonnais, par la pâte méandraise ! Inutile de s’enflammer tout de suite, l’heure est à la discussion et à la construction des bases du quoiquestcequecest. Ce que l’on sait, c’est que l’on veut rencontrer les perles chalonnaises susceptibles d’exciter ce qui n’est pour l’instant qu’une intrigue. Affaire à suivre !
À ce stade de récit bric-à-braquesque, il est temps de terminer cette chose écrite, et de lui trouver une fin digne de ce nom quelques lignes plus bas.
Si vous avez réussi à comprendre quelque chose, merci.
« Il faut se méfier des citations sur internet »
Léonard de Vinci